L’univers MADI

Other languages – Français

L’univers MADI

Entretien avec Carmelo Arden Quin

Írta: Zsuzsa Dárdai

Carmelo Arden Quin peintre, po?te, théoricien, fondateur du mouvement international MADI est né en 1913 en Uruguay. Apres des études de peinture, de philosophie et de littérature en Argentine, il participe au combat contre le fascisme espagnol en tant que membre de la Brigade Internationale de Montevideo. Puis, en 1941, il participe en tant que journaliste ? des actions contre les nazis. Il est le créateur de nombreux groupes et revues d’avant-garde: Sineris (1938), Groupe Arturo (1940), El Universario (1941), MADI (1946), Ailleurs (Paris, 1962)

Carmelo ARDEN QUIN portréja (1998) fotó: Michael BARET/RAPHO


Les autres fondateurs du mouvement MADI sont Martin et Ignacio Blaszko, Rhod Rothfuss, Estaban Eitler, Gyula Kosice. Peu apr?s de sa fondation, le groupe fait sa premi?re exposition ? Buenos Aires ? l’école artistique Altamira dirigée par Lucio Fontane et Emilio Pettoruti.

En octobre de 1948, Carmelo Arden Quin se trouve ? Paris et fonde le groupe MADI. Ses ?uvres sont déj? présentées la m?me année ? la galerie Denise René o? il fait la connaissance de Jakobsen, Pillet, Brancusi et Bozzolini ainsi que Marcelle Cahn, Herbin, Arp, Del Marle. C’est en 1950 que le mouvement MADI, qui représente certains des courants les plus récents de l’Art géométrique, a la possibilité de créer une espace particuli?re, spécifiquement consacré au mouvement dans le cadre des Réalités Nouvelles. A la fin de l’année 1952 le groupe MADI fait des projets communs avec Otero, Soto, Kosnick Klos et la Salle MADI du Salon 1953 présente – sous le titre ?Optique et Vibration? – des objets mobiles des artistes MADI ? côté desquels le visiteur découvre aussi des ?uvres de Picabia, Arp, Vasarely, Le Corbusier, Ruben Nunez et Guevara. Les expositions et les conférences MADI sont nombreuses non seulement ? Paris (Sorbonne, Club Paul Valéry; Galerie Denise René, Musée de Saint-Etienne, Galerie Charley Chevalier, Galerie Quincampoix, Retrospective ? la FIAC, Galerie Claude Dorval…), mais aussi dans le monde entier (Sao Paolo, Nice, Nantes et Berlin.).

Au cours de 50 ans écoulés depuis la fondation du groupe, les artistes MADI établissent des contacts avec différentes villes dans le monde: toute une série d’expositions, festivals, conférences s’organisent et plusieurs musées MADI sont inaugurés dans des villes comme Paris, Milan, Nouvelle Mexico, Gy?r, Montevideo et, plus récemment, Madrid. Voici la preuve que le mouvement MADI m?me ? nos jours représente une réalité vivante imprégnée de joie, d’humour et d’esprit.

Zsuzsa Dárdai: – Tu es né en Uruguay, ? Rivera, pr?s de la fronti?re brésilienne. Quelle est l’origine de ta famille, comment sont-ils venus dans ce pays?

Carmelo Arden Quin: – Comme la plupart des habitants du continent, ma famille, elle aussi, vient de l’Europe. Mes grands-parents sont d’un c? été des basques, de l’autre des portugais.

Zsuzsa Dárdai: – Qu’est-ce que ton pays natal, l?Uruguay signifie pour toi?

Carmelo Arden Quin: – Pas grand-chose ? vrai dire. Pour moi le lieu de naissance n’a pas de beaucoup d’importance. Je ne suis pas un nationaliste. Uruguay est un petit pays quasiment démocratique avec une culture hétérog?ne comme tous les pays de l’Amérique du Sud. Je n’y vais pas souvent – cela fait 50 ans que je n’ai pas visité le pays – malgré le fait que je l’aime beaucoup comme j’aime d’ailleurs tous les pays du monde. En ce qui concerne sa culture, je n’ai jamais ressenti son influence. Mes expériences intellectuelles les plus importantes remontent aux années passées ? Buenos Aires, en Argentine. Et il faut ajouter que malgré mes origines espagnoles mes traditions culturelles trouvent leur racine dans la culture européenne, plus précisément française. L?indépendance des pays sud-américains est d? aux mouvements politiques provoqués par la révolution française. M?me la culture espagnole – sauf pour la langue bien s?r – est venu en Amérique du Sud de la France. Pour vous donner un exemple: dans les années 30 du si?cle dernier, ? l’époque des guerres d?indépendance, c’était l’esprit du romantisme français plutôt qu?espagnol qui influençait le continent. C’était l’oeuvre de Victor Hugo et Lamartine qui a déterminé notre pensée, et nos racines culturelles se trouvent dans la langue et la culture françaises, dans l’esprit de la liberté et l?égalité.

Zsuzsa Dárdai: – Tu as fait tes études en Argentine ? l’époque o? Buenos Aires était le centre du mouvement de l?avant-garde, ? l’époque o? l’Europe était ravagée par les nazis et le fascisme. Comment ces événements historiques ont-ils formé le jeune Carmelo Arden Quin qui avait 20 ans ? l’époque?

Carmelo Arden Quin: – En ce qui concerne mes premi?res années d?études, j’ai fait comme beaucoup d’autres des études classiques: littérature latine et grecque, art et philosophie. D’abord j’ai été influencé par Platon, Aristote, Socrate, les philosophes présocratiques, plus tard par les grands po?tes latins, Ovide, Virgile et surtout Horace. Plus tard, apr?s de nombreux détours, j?ai délaissé mes classiques et me suis tourné vers l’art dada?ste, cubiste et futuriste, vers tous ces artistes maudits par l’esthétique classique. Cela ne veut pas dire que je ne m’occupais pas de Balzac et d’autres auteurs importants comme par exemple Stendhal, d’autant plus que le th?me de ma th?se de doctorat fut notamment le roman psychologique? Mais un jour les policiers du régime Perón ont débarqué dans la maison, ils ont fouillé tout l’appartement pour trouver des écrits antigouvernementaux et ils ont confisqué tous mes écrits et toute ma biblioth?que. Pendant mes études en philosophie, j’ai été influencé par le matérialisme dialectique et historique – je le suis d?ailleurs toujours resté. Mais, individualiste, je n’ai jamais été membre d’aucun parti; je penche plutt vers l’anarchisme, mais pas, bien s?r, aux méthodes d’Action Directe. Je crois au socialisme, je crois qu?il constitue le seul avenir pour l’humanité m?me si notre époque prouve encore le contraire. J?esp?re bien que, dans 20 ou 30 ans toute l’Europe sera socialiste.

Joaquín TORRES GARCÍA (RA) 1928


Zsuzsa Dárdai: – Comment les arts, notamment les beaux-arts, la poésie, la musique et la philosophie ont réussi ? se libérer de cette pression politique et sociale? Qui étaient tes compagnons? Quels groupes se sont-ils crées ? Buenos Aires ? l’époque?

Carmelo Arden Quin: – Je pense que dans notre pensée il y a tout un programme basé sur le collectivisme et parall?lement il y a aussi un programme individualiste: il faut donc faire en m?me temps de l’art individualiste et collectif. Dans mon parcours artistique, dans l’évolution de mon esprit il y avait par exemple un rencontre déterminante en 1935 ? une conférence sur l?avant-garde européenne j’ai rencontré Joaquin Torres-Garcia. On a beaucoup discuté. Pour moi, jeune peintre, ces conversation étaient de vraies leçons sur l’art. Comme c’était la guerre on était coupé des informations culturelles, c’était uniquement des expériences comme celle de Torres-Garcia qui nous servant de source pour des livres, pour des revues, et dans toutes les questions artistiques. C’est dans l’une de ces revues que j’ai découvert la fameuse Machine-lumi?re de Moholy-Nagy, dans l’autre j’ai pu lire le manifeste des futuristes ou bien la tour de Tatlin, et c’est l? que j’ai pu voir – sur une reproduction assez floue – les tableaux plastiques de Péri, ou les sculptures pendues de Rodcsenko. Tout cela était une vraie révélation pour moi. J?étais en plein travail dans des études cubistes quand un jour j’ai découvert une forme coupée polygonale appliquée sur un socle rectangulaire. En le détachant de son socle, je me suis aperçu qu?il s?agissait d?une formation spatiale indépendante. C’est ? ce moment que l’idée m?est venue de faire des tableaux plastiques et des objets cubistes. J’étais en route vers la géométrie pure. Quand j’ai présenté ces objets ? Torres-Garcia, il m’a montré son tableau-poisson géométrique qu’il avait préparé environ 1930: c’était un poisson composé des formes géométriques les plus simples et dont l’oeil était un trou; c’était une vrai poisson MADI. Mais je n’y pensais pas encore.

Le mouvement MADI a donc été influencé par la tradition de l?impressionnisme, cubisme, fauvisme, futurisme, dada?sme, surréalisme, suprématisme russe et constructivisme. Si on analyse ces mouvements artistiques on trouve toujours un concept caractéristique qui détermine leur voie: d’abord il y a avait le fauvisme qui rejette la représentation directe; il y a ensuite le cubisme qui cherche la base géométrique des choses en le déconstruisant triangles, rectangles et cercles. Puis il y a encore le futurisme qui représente le concept de la vitesse, du dynamisme et du mouvement permanent du monde; c’étaient d’ailleurs les futuristes qui ont préparé le premier objet mobile. Et il ne faut pas oublier non plus le dada?sme: du mouvement de la provocation, de la négation, des po?mes libres qui étaient la base de la conception d’automatisme des surréalistes. Et finalement le monde sans objets de Malevics et avec le suprématisme qui lançait certaines idées du constructivisme. Tout cela, évidemment, est conforme ? la conception des impressionnistes qui rompirent avec l’académisme en donnant voie libre ? l’art vers un espace aéré par la liberté.

MOHOLY-NAGY László (H) 1922


Tout cela est magnifique, mais l’histoire de l’art n’a jamais abordé le probl?me de la polygonalité. Comme si nos prédécesseurs ne l’avaient pas connu ou ne voulaient pas le connaitre m?me si le mot m?me n’était pas inconnu: en tant que terme mathématique et géométrique ou bien en tant qu?élément fondamental de la composition depuis la nuit des temps. Mais je me demande pourquoi les constructivistes se cantonnaient ? l’idée du triangle rectangle, du rectangle, du carré. Qui les a enfermés dans un cadre déterminé? Pourquoi n’ont-ils pas choisi le triangle, le pentagone ou le heptagone? C’est ce changement de vue, ce découvert qui manquait ? la vision de l’art; c’est ce manque qui s’explique l’existence de MADI, une tendance qui lib?re la surface du tableau enfermée depuis des si?cles, dans le cadre, dans le triangle rectangle. MADI proclame l’idée panta rhei en essayant de rattraper le mouvement perpétuel du monde au moyen des couleurs simples et de structures polygonales, par des espaces vides, par les formes déconstruites des sculptures, par la transposition du cadre dans la surface du tableau. Il ne se contente pas du fond rectangulaire, des formations immobiles, des espaces enfermés. Dans son concept, il n’y a plus d’extérieur et d’intérieur, il rejette toute idée de délimitation.

C’était pour présenter la conception de la polygonalité qu’on a eu l’idée de créer une revue consacrée ? ce probl?me. (ARTURO, été 1944)

Comme tous les mouvements artistiques, MADI aussi était un groupe isolé qui avait aucun contact avec des galeries. Les manifestations étaient présentées chez Enrique Pichón Riviere, un psychanalyste de Lautréamont ou chez Grete Stern, une photographe allemande. On faisait des f?tes, des spectacles tous les samedis: on y présentait nos ?uvres récentes, on citait des po?mes, donnait des concerts. Plus tard on organisait des conférences en exposant les ?uvres dont il était question dans la salle. C’est comme ça que le mouvement MADI s?est peu ? peu formé.

Si on regarde bien les mouvements artistiques, on s?aperçoit qu’ils font pratiquement tous le m?me parcours: il y a une étape primitive, puis une analytique et enfin une étape synthétique.

Prenons l’exemple de l?impressionnisme. La plupart des impressionnistes vivaient dans la pauvreté totale mais, malgré leur mis?re, ils étaient heureux car ils ont découvert quelque chose fondamental: ils ont découvert l’espace, le temps, l’éther et l?âme dans le sens psychologique du mot. L?impressionnisme comporte les m?mes étapes ? l’intérieur du mouvement: Monet qui peint des coquelicots n’est pas le m?me que celui qui peint des cathédrales ou bien celui qui peint des nymphes. Apr?s l?étape classique il y a celle des révolutionnaires: Cézanne, Van Gogh, Gauguin. Cézanne, croyant, est un révolutionnaire dans sa peinture. Van Gogh représente le drame, mais n’abandonne pas encore la technique impressionniste: c?est Gauguin qui a fait le pas décisif, c’est chez lui, je pense, qu’on peut trouver les racines du fauvisme et de toute la peinture abstraite. Pour moi il n’existe pas donc un impressionnisme, il y a des impressionnismes. Il faut toujours regarder le fil de la continuité. MADI a été créé en 1946 ? Buenos Aires, c’était sa premi?re étape – je dirais primitive; puis, dans les années 50 ? Paris, on peut suivre le commencement du deuxi?me stade et je pense que c’est ? nos jours qu’il entre dans son troisi?me stade, l?époque MADI, une sorte d?âge d’or.

L’art fait le m?me parcours que toutes les activités humaines ou artistiques: il est évident que la physique, apr?s les découvertes d’Einstein, ne retourne plus dans le stade de Newton, ce qui ne veut pas dire bien s?r que les découvertes de Newton ne sont plus valables. Et c’est la m?me chose pour la chimie, la philosophie; il n?y a donc pas de raison pour que ce soit différent avec l’art. L’art de la renaissance ne pouvait se développer que sur la base économique et sociologique de l’époque. Il fallait bien quelqu’un pour financer les travaux de Leonardo, Botticelli, Raffaelo. Comme les subventions venaient toujours de l?Eglise, les architectes construiraient des cathédrales et les peintres les décoraient. En regardant les abondants motifs de Tiepolo, on voit bien que c’était commandé par la cour. Par contre si on regarde ses dessins on y voit apparaître des gens simples, des artisans, des meuniers et ces dessins sont aussi géniaux que les ?uvres de ses toiles de grand format. Il est dommage qu’ils soient moins connus que ses grands tableaux mythologiques. Mais je peux te donner un autre exemple, notamment la vie et l’oeuvre de Caravaggio. Dans un petit coin caché d’une chapelle ? Rome, il y a un tableau qui représente Saint Jérôme et, en face de lui, il y a un maréchal-ferrant et ses deux ouvriers. Les ouvriers sont ? pied nu, ce qui nous montre des conditions économiques et sociales de l’époque. Pas d’illusion, pas d’étoffe décorée: il n’y a que la réalité pure. C’est la raison pour laquelle apr?s Caravaggio la peinture ne peut pas retourner ? la m?me densité de la composition qu?avant. Caravaggio a franchi le seuil: il n’y a plus de retour.

Zsuzsa Dárdai: – Donc ? ton avis il y a une évolution dans l’art?

Carmelo Arden Quin: – Notre vie tourne autour de deux questions: le pourquoi et le comment. Pourquoi on vient au monde, pourquoi on meurt, qu’est-ce que l’Univers, ? quoi cela sert, quel est le but de la vie, comment on pourrait le discerner: c’est le myst?re. L’art, c’est le présent perpétuel qui pose les questions universelles et éternelles. L’articulation de ces question et le style dépendent toujours des conditions techniques et économiques de l’époque. Le berceau de impressionnisme est l’Ile de France avec ses conditions historiques, sociales, économiques. Si on regarde un artiste contemporain qui fait des objets transparents en plexi il est évident qu’il ne fait pas partie d’une tribu africaine o? les gens ne connaissent pas cette mati?re. La différence dans la technique ne veut pas dire que l’une ait un niveau plus élevé que l’autre. Le message de l’artiste africain est universel aussi, sauf que les artistes africains utilisent leur propre matériau comme le bois, l’argile pour créer des ?uvres comme par exemple les fameux masques, et pas du plexi. Les différences se trouvent dans les méthodes, dans la question du comment.

Zsuzsa Dárdai: – Joaquin Torres-Garcia (1874-1949) eut un rôle significatif dans le développement de l’art géométrique constructiviste. Est-ce que tu pourrais nous présenter sa personnalité et son ?uvre?

Carmelo Arden Quin: – Torres-Garcia était le rédacteur et le maître spirituel du mouvement et de la revue Cercle et Carré en 1930 ? Paris. Ce groupe était tr?s important ? l’époque et comportait des artistes comme Mondrian, Arp, Herbin, Vantongerloo, Kandinsky. En 1934 Torres-Garcia est retourné ? Montevideo pour continuer ? travailler sur l’universalisme constructiviste. Il était un personnage contradictoire, toujours en conflit avec lui-m?me: en tant qu’artiste non-figuratif-géométrique il avait des traits constructivistes tout en utilisant en m?me temps des symboles qui consistaient en des formes plates. Il utilisait les mati?res les plus simples: une fois par exemple il a trouvé par terre un morceau de bois et, en le décorant, il a préparé un objet magique tout ? fait génial. Il était le saint la?que de la peinture: quelqu’un qui n’était jamais tenté par la fortune, par la gloire. Il ne fut jamais un artiste-vedette, il a toujours vécu dans la plus grande pauvreté avec sa famille. C’était un personnage charismatique, il était un peintre passionné – toute sa vie était un témoignage de la vérité de l’art: il montrait que la seule chose importante de notre vie est l’art. L’art qui ne ment pas, qui ne confronte pas, qui n’accuse pas, mais qui essaie ? conserver et ? rattraper la beauté ? l’aide de ses formes et de ses couleurs.

Zsuzsa Dárdai: – Quand Torres-Garcia est retourné en Uruguay quelques années plus tard, ttu es allé ? Paris. Pourquoi?

Carmelo Arden Quin: – Parce que j’étais formé par l?Ecole française, par l’art occidental, par l?impressionnisme. Les fauvistes, les futuristes sont tous venus ? Paris – les grands maîtres comme Picasso, Braque, Juan Gris, Léger, eux aussi habitaient tous ? Paris. Bien que le mouvement dada?ste est né ? Zürich, il a fallu qu’il aille ? Paris pour donner naissance au surréalisme.

En Uruguay je me demandais ce que je pouvais faire dans un régime policier fasciste qui opprimait toutes les initiatives culturelles. Je n’étais pas d’accord avec le retour de Torres Garcia en Uruguay: s’il était resté ? Paris ou en Europe, son propre sort, celui de MADI et de l’école constructiviste aurait peut ?tre été différents.

J’ai toujours imaginé ? vivre ? Paris. J?ai toujours été persuadé (et je le suis encore) que Paris est la capitale culturelle du monde. En Amérique du Sud je ne connaissais aucun artiste mexicain, vénézuélien, colombien: c’est ? Paris que je les ai rencontrés. C’est aussi ? Paris que j’ai fait la connaissance d?artistes hongrois, polonais, américains, anglais, japonais parmi lesquels j’ai trouvé m?me des amis. A mon avis Paris est toujours la grande ville qu’elle était parce que la tradition de l’Ile de France est toujours vivante. Ce sont des raisons historiques et psychologiques qui font que Paris ne peut me jamais décevoir. C’est la ville o? je retrouve le monde entier.

MOHOLY-NAGY László (H) 1923


Zsuzsa Dárdai: – Tu as créé un mouvement artistique, tu es en contact avec des personnalités connues, tu es toi-m?me un artiste réputé et pourtant il me semble que tu ne participes pas ? la vie artistique parisienne, que tu as peu de contact avec la presse et quasiment aucun avec les commerçants et les collectionneurs d’objet d’art.

Carmelo Arden Quin: – Il y a environ 300 ateliers ? Paris dans lesquels on trouve des artistes faisant de l’art géométrique – mais on ne les connaît pas. M?me les grands maîtres de ce mouvement comme Herbin, Del Marle, Gorin, français tous, on sombré dans l?oubli. Jusqu?? présent aucun musée français n’a pas fait une exposition rétrospective de leur ?uvre alors qu?ils exposent en permanence des grands peintres américains. Qu?est-ce qui te fait penser qu’ils s’intéressent au mouvement MADI et ? l’art d’Arden Quin? Si un jour on me proposait d’exposer mes ?uvres, je leur sugg?rerais de monter d?abord rétrospective d?Herbin et de Gorin, que j?estime prioritaire. Bien que nous soyons invités réguli?rement ? des expositions aussi bien en France qu’? l’étranger, la presse parisienne, contrairement ? la presse italienne ou espagnole, ne consacre aucune attention aux événements de l’art géométrique. D’ailleurs il est possible que cela soit ma faute aussi parce que j?ai toujours voulu éviter que MADI devienne quelque chose vulgaire, quelque chose qui est ? la mode: car c?est uniquement ? cette condition qu’il peut se développer librement, spontanément, suivant la conception de la géométrie et la polygonalité.

MADI est un mouvement libre, tout le monde peut y participer s’il veut et l’abandonner quand il veut. La seule exigence est l’attachement aux formes géométriques et ? l’idée de la polygonalité, ce qui d’ailleurs ouvre ? l’imagination, ? la créativité car l’espace plastique est une source inépuisable pour l’intelligence humaine toujours pr?te aux aventures.

PÉRI László (H) 1924


Zsuzsa Dárdai: – Tu es philosophe, po?te, écrivain et sculpteur: comment tu trouves un équilibre parmi toutes ces activités?

Carmelo Arden Quin: – Quand je m?aperçois que je ne dis rien de nouveau, que je me rép?te alors j?arr?te de peindre et je commence ? écrire ou faire des po?mes. J’essaie de créer une méthode MADI dans l’écriture.

Zsuzsa Dárdai: – Est-ce que tu pourrais nous citer un de tes po?mes MADI?

Carmelo Arden Quin: – Non, c’est impossible. Je t’explique pourquoi. Prenons l’exemple de Mallarmé qui a écrit un livre tr?s important pour la poésie dont le titre est ?Un coup de dés jamais n’abolira le hasard.? Cela peut ?tre confirmé, cela peut ?tre contesté, mais la phrase m?me ne peut pas ?tre montrée. Mais si je prends un dé et je le jette alors c’est un vrai coup de dés. Et si je fais cela devant un public en montrant le livre de Mallarmé ?Un coup de dés jamais n’abolira le hasard?, alors c’est déj? un po?me MADI. La réalité et la métaphore fonctionnent ensemble. La poésie MADI a des m?mes aspects que la peinture, la sculpture, la musique et la danse MADI. Franchir aussi bien les cadres de la traduction et des langues. Par exemple je montre au public un pot de fleur avec un texte: la fleur a besoin de la vérité. Le métaphore est donc l’eau, l’eau est la vérité dont la fleur ? besoin pour vivre.

Dans les ?uvres MADI il y a une relation naturelle et dialectique entre la forme et le contenu. Prenons l?exemple de l’architecture. En Bretagne un architecte suédois a construit une maison qui tourne autour de son axe toujours vers le soleil. A Hongkong il y a un restaurant construit sur le m?me principe: ce sont tous les deux des bâtiments MADI comme l’avion en mouvement ou le bateau qui glisse sur l’eau. Les bateaux qui flottent sur les fleuves sont de vraies maisons MADI o? on passe parfois 3-4 mois: on y dort, on y mange, on y meurt… Dans un avion il y a plus de gens que dans un village, parfois il y ? 300-400 personnes enfermés dans un objet mobile. En 1950 quand j’ai fait une conférence ? la faculté de l’Académie des Beaux-Arts de Paris: je voulais expliquer le sens de l’architecture. J’ai dit qu’il était bien temps d’oublier les cubes de Le Corbusier. Il y a eu une grande discussion: une partie des étudiants était révoltée, l’autre était d’accord.

Ou alors on peut prendre l’exemple de la sculpture MADI: la sculpture MADI c’est le mouvement et l’articulation, la variabilité et le joie. Cela vient directement des jouets articulés de Torres-Garcia. Ses fameux jouets articulés créés sur la base de mes coplanaux montrent une variabilité remarquable et infinie. Le mot coplanal est composé des mots coopération et plan, et montre que ce sont des objets librement composés sans avoir de plans et de cadres définis. Ludique: c’est l?une des idées de l’artiste MADI. Le tableau ou la sculpture MADI a le rôle d??tre amusant pour le désir de son spectateur.

On peut donc conclure que MADI, tout comme le surréalisme, le futurisme ou le constructivisme, est présent dans toutes les disciplines de l’art.

Moi, j’ai déj? évoqué la musique électronique dans mon manifeste de 1948… En 1946 nous avons créé une chorégraphie o? tous les mouvements étaient basés sur les formes géométriques comme le rectangle, triangle et le cercle. Les gestes qui venaient des formes, des th?mes plastiques étaient indépendants de la musique. Nous avons donc essayé, paradoxalement, je le sais, de faire glisser le temps géométrique parmi les plans du temps.

Il y a encore tout un trésor ? découvrir dans le mouvement MADI. J?esp?re que – avec des autres artistes MADI – ce sera vous, les hongrois, qui partirez ? la recherche de ce trésor caché. Vous avez des traditions formidables: celle de grands artistes comme Moholy-Nagy, Péri, Kassák, Schöffer, Vasarely… Le Musée-Pont nous donne une possibilité formidable pour ce mouvement MADI qui est toujours pr?t ? se renouveler, tout en restant fid?le ? l’idée de la géométrie.

(Savigny sur Orge, 1998 – MADI art periodical No1)